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CHRONIQUE / Avant, on louait un film au club vidéo, on payait 5 $, même si on arrêtait le film après 20 minutes, parce qu'on le trouvait d'un ennui mortel. Pareil maintenant sur Internet ou pour la télé. Vous prenez un abonnement à Netflix ou au Club illico, vous payez un montant fixe, peu importe ce que vous avez regardé durant le mois.
Et si on payait uniquement pour ce qu'on a regardé? Le principe de «blockchain» (ou «chaîne de blocs» en français), éprouvé en finance et qui fait lentement son chemin dans l'industrie de la musique, pourrait aussi s'appliquer à la télé. Ce procédé ultra sécuritaire permet de rétribuer justement les ayants droit sans passer par un intermédiaire. Plusieurs pensent que c'est l'avenir.
De l'avis de certains, le client serait gagnant, puisqu'il ne paierait que pour ce qu'il regarde. Le diffuseur aussi, dont les dépenses seraient limitées, si jamais une série sur laquelle on misait beaucoup est boudée par le public. De même que les créateurs et les producteurs, dans le cas où une production plus anonyme obtient un succès insoupçonné. Finie la spéculation et les promesses aux annonceurs, dans ce système qu'on promet tout à fait transparent, et qui permet un meilleur partage des contenus.
Pourquoi vous parler de ça? Parce que Groupe Média TFO en Ontario a convaincu le Fonds des médias du Canada de lui permettre, avec l'argent de nos taxes, d'élaborer un nouveau modèle de redevances audiovisuelles, un prototype «blockchain» pour le pays. Jusqu'à maintenant, CBC a montré de l'intérêt pour le projet, et GMTFO espère convaincre d'autres diffuseurs d'embarquer. Le président et chef de la direction de l'entreprise, Glenn O'Farrell, souhaite rien de moins que «transformer et remodeler en profondeur la façon dont les productions culturelles numériques sont administrées, de leur financement à leur mise en marché».
Dans notre univers numérique actuel, où on se désabonne de plus en plus du câble, le système traditionnel de droits d'auteur devient complètement désuet, pense Glenn O'Farrell. «Ce sont souvent les petites entreprises qui dégagent les pistes innovantes et porteuses. On a pris les devants parce qu'on y voit un intérêt», dit-il.
M. O'Farrell compare le prototype «blockchain» à iTunes, qui a permis au consommateur d'acheter une chanson à la fois plutôt qu'un album complet, créant une petite révolution dans notre façon de consommer la musique. Le procédé offrirait beaucoup plus de liberté au consommateur. «Comme si j'étais payé au clic sur mon blogue?» lui ai-je demandé. Oui, en fonction du temps exact que les lecteurs y ont passé.
Ultimement, un tel principe pourrait-il nuire aux productions plus marginales, moins grand public, qui peinent à trouver leur public, mais qui ont pourtant droit d'exister? Glenn O'Farrell, qui dirige un diffuseur de contenu éducatif, croit que ces productions peuvent au contraire y trouver leur compte. «Les plus petits joueurs ont avantage à mieux connaître leur distribution. Ce modèle-là va pouvoir authentifier leur rayonnement. C'est une reconnaissance plus juste de l'usage actuel.»
Pour lui, on ne doit pas prendre le «blockchain» comme une mesure contre le piratage. «Ceux qui vont pirater vont toujours le faire. Mais ceux qui veulent rester dans la légalité auront de plus larges possibilités.»
Glenn O'Farrell parle ici de contenu télé, mais un organisme comme la société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique devrait également en bénéficier. «La SOCAN est une candidate évidente pour en faire usage. Elle représente les intérêts des auteurs-compositeurs qui font le commerce de leurs oeuvres. Est-ce que la SOCAN pourrait disparaître avec le "blockchain"? Possiblement», laisse-t-il entendre.
On le sait, le CRTC a mis de l'avant l'idée que le client souhaitait avoir le choix, ne plus se faire imposer de bouquet de chaînes qu'il ne regarde pas. Mais voilà, l'industrie est-elle mûre pour une telle révolution? Il faudra voir si un petit joueur comme TFO saura séduire les plus gros avec son projet.
Le Soleil